Les entrepreneurs Marc Andreeseen, Peter Thiels, Elon Musk, Jimmy Wales, fondateur de Wikipédia, ont tous reconnu avoir été marqués par la figure et la vision du monde de John Galt, le héros d'Atlas Shrugged. Dans ce roman-fleuve d'Ayn Rand, une auteure russe émigrée aux États-Unis, John Galt convainc ses pairs de faire la grève [d'où le titre de la version française] et de se retirer du monde pour fonder une société autonome, à l'abri des regards du monde. Galt estime que la population en général est incapable de reconnaître la contribution essentielle et la supériorité des génies industriels comme lui et ses amis. « Rejetant toute forme de redistribution sociale ou de collectivisme qui évoque à ses yeux le destin funeste de sa patrie d’origine rongée par le cancer bolchévique », Rand oppose « les entrepreneurs et créateurs individuels représentent le Bien, à l’étatisme prédateur, spoliateur et redistributeur, qui constitue à l’inverse l’archétype du Mal, sous les figures du bureaucrate, du politicien ou de l’intellectuel organique stipendié par l’État. » Les magnats de Silicon Valley ont rapidement été séduits par ce « roman qui peut être vu comme une sorte d’Évangile libertarien où l’exaltation du moi créateur et de la volonté individuelle de puissance dessine un monde héroïque où les entrepreneurs ont remplacé les saints et les héros de jadis comme modèles du génie humain. »
« Si cette vision de la société ne peut que paraître caricaturale à un esprit hexagonal, l’extraordinaire succès du livre aux États-Unis [Atlas Shrugged a été tiré à plus de onze millions d’exemplaires], bien au-delà des cercles libertariens, est la démonstration imparable que la romancière a su faire écho à une conception de l’individu, de la société et de l’État profondément ancrée dans la culture américaine.»
Lire l'excellent exposé de Jérôme Perrier sur Les racines intellectuelles lointaines de l’anarcho-capitalisme et du populisme libertarien (Fondation pour l'innovation politique).
« Une des grandes forces de l’entreprise trumpienne est d’avoir su faire cohabiter des hommes et des idées souvent fort différents, pour ne pas dire opposés. Reste que l’art de gouverner ne peut éternellement se jouer des lois de la physique politique et que la réalité finit toujours par s’imposer.
Il suffit en effet de prendre quelques exemples concrets pour comprendre que la vision libertarienne du monde et la vision populiste ne peuvent durablement coexister. Ainsi, la politique protectionniste néomercantiliste (et électoraliste) de Donald Trump est parfaitement incompatible avec le logiciel libertarien, pour lequel l’interventionnisme de l’État est à combattre sous toutes ses formes, et d’abord lorsqu’il remet en cause la liberté des échanges. »
Un texte de Jérôme Perrier dans La Croix. On lira également du même auteur, Le détournement populiste du courant libertarien, sur le site de Fondapol, un « Think Tank libéral, progressiste et européen ».
« Musk illustre parfaitement le problème avec nos oligarques. Les États-Unis ont produit un groupe impressionnant d'entrepreneurs technologiques qui ont créé des entreprises de renommée mondiale. Mais un certain nombre d'entre eux ne savent pas comment rester dans leur voie. Ils pensent que parce qu'ils sont devenus riches et qu'ils ont réussi dans un secteur d'activité, ils seront bons dans n'importe quel domaine, et ils s'égarent dans des domaines où ils ne sont pas du tout à l'aise.
Le New York Times a récemment cherché à recréer le monde en ligne dans lequel Musk vit en suivant le millier de comptes X qu'il suit. Ce n'est pas le même monde que celui dans lequel je vis, et je suppose que c'est le cas de la plupart des personnes qui lisent ce billet. C'est un monde de théories du complot, de sombres pressentiments et d'attaques virulentes contre les "maniaques marxistes" qui occupent l'autre côté de l'échiquier politique.
Dans ce monde alternatif, le gouvernement américain est un État profond (Deep State) dirigé par des maniaques marxistes qui échappent totalement au contrôle des dirigeants démocratiquement élus. »
Un texte de Francis Fukuyama sur le site Persuasion.
«Aux Etats-Unis, la collusion entre les géants de la tech et l’administration Trump vise à “utiliser l’IA pour imposer des politiques d’austérité et créer une instabilité permanente par des décisions qui privent le public des ressources nécessaires à une participation significative à la démocratie”, explique l’avocat Kevin De Liban à Tech Policy. Aux Etats-Unis, la participation démocratique suppose des ressources. “Voter, contacter des élus, assister à des réunions, s’associer, imaginer un monde meilleur, faire des dons à des candidats ou à des causes, dialoguer avec des journalistes, convaincre, manifester, recourir aux tribunaux, etc., demande du temps, de l’énergie et de l’argent. Il n’est donc pas surprenant que les personnes aisées soient bien plus enclines à participer que celles qui ont des moyens limités. Dans un pays où près de 30 % de la population vit en situation de pauvreté ou au bord de la pauvreté et où 60 % ne peuvent s’offrir un minimum de qualité de vie, la démocratie est désavantagée dès le départ”. L’IA est largement utilisée désormais pour accentuer ce fossé. »
Une recension de Hubert Guillaud - Dans les algorithmes
Il y a près de 20 ans un programmeur californien écrivait le futur programme de l'administration Trump 2.0:
«Au printemps et à l'été 2008, alors que Donald Trump était encore inscrit au registre des démocrates, un blogueur anonyme connu sous le nom de Mencius Moldbug publiait un manifeste intitulé Lettre aux progressistes à l'esprit ouvert. Rédigée avec la désaffection narquoise d'un ancien croyant, cette lettre de cent vingt mille mots affirmait que l'égalitarisme, loin d'améliorer le monde, était en fait responsable de la plupart de ses maux. Le fait que ses lecteurs bien-pensants pensent autrement, selon Moldbug, est dû à l'influence des médias et de l'université, qui travaillent ensemble, bien qu'involontairement, pour perpétuer un consensus gaucho-libéral. Il a donné à cette alliance néfaste le nom de "cathédrale". Moldbug ne demande rien de moins que sa destruction et un "reboot" total de l'ordre social. Il propose "la liquidation de la démocratie, de la Constitution et de l'État de droit", et le transfert éventuel du pouvoir à un PDG omnipuissant, qui transformerait le gouvernement en "une société ultra-profitable et lourdement armée". Ce nouveau régime vendrait les écoles publiques, détruirait les universités, abolirait la presse et emprisonnerait les "populations décivilisées". Il licencierait également les fonctionnaires en masse (une politique que Moldbug appellera plus tard RAGE - Retire All Government Employees) et mettrait fin aux relations internationales, y compris aux "garanties de sécurité, à l'aide étrangère et à l'immigration de masse".»
Un portrait de Mencius Moldbug, alias Curtis Yarvin, penseur des "lumières obscures (Dark Enlightment)", dans le New Yorker (en anglais). Lire également ce commentaire du philosophe Mike Brock,Yarvin et les mécanismes de l'effondrement démocratique (en anglais). Mike Brock, un ex-ingénieur de la Silicon Valley, a été l'un des premiers à avoir attiré l'attention sur les projets révolutionnaires du Big Tech.
«Parmi toutes les cryptomonnaies qui ont défrayé la chronique, il en est une très particulière, qui pourrait très bientôt révolutionner l’économie mondiale. Rappelons d’abord que les cryptomonnaies sont des monnaies privées, enregistrées sur des fichiers numériques infalsifiables, sécurisés sur une blockchain utilisant des tokens (nommés ainsi, parce qu’ils représentent numériquement un jeton) et émises par des sociétés spécialisées.
Je ne veux pas parler ici des cryptomonnaies spéculatives, qui ont entraîné des faillites retentissantes, et conduit des financiers en prison ; ni de celle émise par le président Trump, qui ne sert qu’à organiser un transfert de monnaie vers sa famille, en échange de services obscurément rendus et de délits d’initiés adroitement masqués en décisions politiques faisant baisser la Bourse, avant d’être annulées juste après en avoir informé quelques initiés ayant souscrit à ce bitcoin présidentiel.
Je veux ici parler d’une cryptomonnaie apparemment totalement inutile, puisque sa valeur n’est pas supposée fluctuer, mais conçue pour conserver une valeur stable, indexée sur une devise fiduciaire, comme le dollar ou l’euro, ou l’or.»
Un texte de Jacques Attali
Le magazine américain Wired vient de publier un article qui
détaille la liste des compagnies qui ont leurs entrées auprès du DOGE, ce groupe opaque dont on ne sait que trop
peu
de choses, hormis qu'il taille en pièces la machine étatique américaine pour les redistribuer à ces entreprises
en vue de créer la nouvelle république
technologique américaine.
Le fermier-poète américain Wendell Berry écrivait en 1987 que toute nouvelle technologie doit répondre à 9 règles pour s'intégrer harmonieusement dans nos communautés. Le critique de la technique Ted Gioia croit que ces règles sont plus pertinentes que jamais.
Un texte percutant de Mike Brock, un «insider» de la Silicon Valley, converti en Cassandre: Elon Musk et le DOGE, écrit-il, sont en train «d'effacer la démocratie, une ligne de code à la fois.» Trump ne serait que l'idiot utile à la broligarchie qui a enfin trouvé son cheval de Troie pour envahir la capitale américaine et établir son emprise sur l'état américain. Pour l'élite de la tech californienne, la démocratie est un échec et la population n'est pas assez intelligente pour faire des choix éclairés. Il leur revient de faire ces choix. Après la Silicon Valley, voici le temps de la Silicon Hill.